Comment établir le prix d’un livre numérique ?

Le prix dans l’univers numérique est devenu un enjeu majeur; pour le livre numérique, le prix n’opère pas tout à fait de la même manière qu’en format papier ni dans le même contexte, et de nouveaux processus et de nouvelles stratégies viennent appuyer les efforts dans les autres domaines du marketing. La question qui devrait nous intéresser est la suivante : comment établir le prix d’un livre numérique pour maximiser les revenus et développer des parts de marchés rentables?

Le prix moyen d’un livre numérique en français disponible au Canada est de 15,46 $, alors que le prix moyen payé par les consommateurs est de 10,57 $. Il y a donc un écart moyen entre l’offre et la demande d’environ 30 %. Bien que cet écart soit un indicateur important et significatif, il demeure une généralité qui cache d’autres constats, et à ce stade, cette seule considération ne permet pas de prendre une décision sur l’établissement du prix d’un livre numérique en particulier – et la décision est parfois ailleurs dans le mix marketing.

Tableau 1 :Distribution générale
Tableau 1 : Distribution des prix moyens (ASP) payés par les consommateurs pour tous les titres en français au Canada. Kobo, août 2014

Tout d’abord, les données partagées ici sont celles de Kobo pour le Canada pour l’ensemble des titres en français vendus ou disponibles depuis le début de l’année 2014; il peut donc évidemment y avoir des variations chez les autres détaillants, selon la composition du catalogue et des clientèles, mais ces données demeurent collées sur la réalité qui nous intéresse, soit le Québec et le Canada.

Il faut ensuite pondérer ce prix moyen, car cette information est trop générale pour que quiconque base une décision marketing sur celle-ci ou en tire des conclusions. Les facteurs déterminants liés à ce prix moyen sont : la tendance croissante de l’autoédition (qui tire le prix à la baisse), les prix promotionnels, les types d’ouvrages propres au numérique (c’est-à-dire les œuvres courtes ou eSingle et les séries), l’importance du fonds, ainsi que les pratiques spécifiques de certains genres littéraires. Par exemple, pour la littérature sentimentale, le prix moyen payé par les consommateurs est de 8,08 $, tandis que celui des essais (dans la catégorie « non-fiction ») est de 12,16 $, et celui de la littérature générale est de 11,52 $ – prix se distinguant davantage du prix moyen global.

Pour maximiser ses revenus d’éditeur, il ne s’agit pas nécessairement alors de couper systématiquement ses prix, mais bien de comprendre les particularités de ce créneau et ses dynamiques. Il est vrai d’affirmer que les prix sont moindre, toute chose étant égale par ailleurs : une stratégie de prix s’impose, mais également, dans certains cas, une politique éditoriale devra être adaptée pour ce créneau, puisque ce créneau est plus fortement composé d’auteurs indépendants, de séries et d’œuvres courtes (et aussi de collections d’œuvres traduites à prix compétitif!). Ainsi, trouver le bon prix peut signifier le développement de collections, de séries, de titres adaptés à la demande, ce que certains éditeurs font par ailleurs déjà. Un prix plus élevé que la moyenne est certainement possible avec une valeur perçue plus grande : caractéristiques de l’ouvrage, auteur d’ici, publicité et relation de presse autour du livre, métadonnées de qualité qui expriment la valeur, etc. Tout ça et bien d’autres variables permettent une prime sur le prix moyen jusqu’à un certain point, et ce point est l’équilibre entre le prix demandé et les revenus générés.

Tableau 2 :
Tableau 2 : Distribution des prix moyens (ASP) payés par les consommateurs au Canada, littérature sentimentale (en français). Kobo, août 2014

 

Tableau 3 :
Tableau 3 : Distribution des prix moyens (ASP) payés par les consommateurs au Canada, littérature et fiction générale (en français). Kobo, août 2014

Pour une gestion efficace des prix, on doit posséder une connaissance juste du contexte de marché – le cadre de référence des acheteurs; le succès vient de la compréhension du contexte, et ce dernier inclut l’utilisation de la courbe de demande et du cycle de vie du livre comme outils (même de manière empirique). Fort heureusement, nous n’avons jamais disposé d’autant de données pour comprendre le comportement du consommateur et du lecteur. Ces données viennent affiner et appuyer les stratégies de prix et les actions qui servent à rendre compte de la valeur.

 

Structure de prix basée sur le contexte

Le contexte du livre numérique et du commerce électronique exigent une structure de prix adaptée. Actuellement, la pratique est d’établir un prix 25 à 30 % moindre que le coût de sa version papier; si le titre passe en poche, on refait habituellement le même exercice, mais cela n’est pas systématique chez les éditeurs. Il s’agit d’une mesure pratique qui a ses limites, et surtout, qui ne permet pas de maximiser la présence des œuvres auprès des lecteurs potentiels – et donc n’encourage pas une optimisation des revenus.

Dans le mix marketing, le prix est certainement l’élément auquel on consacre le moins de temps et d’attention, bien qu’il soit une des trois variables qui influencent directement les revenus, avec les coûts et le volume, et où la variable des coûts pour le numérique est plus difficilement quantifiable. Bien sûr, le coût marginal lui est pratiquement nul, même si des nuances sont à apporter. Remplacer progressivement la pratique d’établissement du prix deux à trois fois durant la vie du livre par une gestion dynamique des prix est certainement un facteur de succès pour le numérique. Le prix devient ainsi un levier marketing d’autant plus important.

 

Planification et gestion des prix

Comment établir le prix d’un livre numérique pour capter l’attention des clients et les inciter à l’acheter? Déterminer le prix optimal de lancement n’est pas chose facile. Par contre, établir une structure de prix sur le fonds et procéder à des tests permettent de mieux saisir cette dynamique pour un catalogue.

La valeur d’un livre est variable dans le temps; de plus, elle ne permet souvent pas de capter toutes les caractéristiques associées à celui-ci. Un livre du domaine public ou paru il y a 10 ou 30 ans n’a pas la même valeur que celle d’une nouveauté, par exemple, et je ne parle pas de valeur intrinsèque à l’œuvre, mais plutôt de valeur perçue. C’est pour cette raison, notamment, qu’on inscrit certains titres dans des collections de poche. Pour le numérique, on peut faire l’exercice de manière moins abrupte pour profiter de ce qu’on nomme l’écrémage de marché, avec des variations de prix tout au long de la vie de l’œuvre, de sa sortie initiale à son entrée dans la longue traîne.

La flexibilité offerte par le numérique dans la gestion des prix permet une nouvelle manière de les gérer. En effet, une baisse significative de la demande devrait être un indicateur d’action pour diminuer le prix d’un titre afin de suivre son évolution dans le temps; l’inverse est aussi vrai.

Ainsi, dans la gestion des prix d’un catalogue numérique, on devrait identifier la valeur des titres de fonds qu’ils soient également en poche ou non, (voire surtout s’ils ne sont pas encore offert en format poche). Pour ce faire, il importe de se référer à la courbe de demande et au cycle de vie du livre. On peut alors moduler le prix des séries avec des tomes 1 à moindre prix ou des promotions ponctuelles, surtout lorsque les tomes suivants sont déjà disponibles. Il est aussi recommandé de planifier et d’intégrer la promotion dans sa structure de prix pour un effet optimal sur les ventes ou pour le développement d’un lectorat plus large (développement des parts de marché si on préfère).

 

Voici, à titre d’exemple, trois actions prioritaires :

Fonds : Ce sont surtout les titres de fonds (plus d’un an) qui sont relativement trop chers; un titre paru il y a 20 ans devrait-il être au même niveau de prix aujourd’hui? C’est ici que le niveau des prix affecte le plus le développement d’une présence numérique et les revenus associés. Le volume de vente est directement affecté par des prix relativement trop élevés. Le fonds peut par ailleurs servir de locomotive pour propulser les ventes de nouveautés. Grâce au système de recommandation, un auteur présent dans les bibliothèques des lecteurs se verra mieux référencer, et la nouveautés plus fréquemment suggérée aux lecteurs potentiels.

Premier de série : Une technique éprouvée est de vendre le premier tome à un prix moindre afin de favoriser la découverte d’une nouvelle série et minimiser le risque pour le consommateur. Un prix plus attractif permet de bâtir un plus grand lectorat, il faut alors concevoir la différence de prix comme un investissement marketing. Plusieurs options peuvent être considérées, selon l’objectif et le contexte : écrémer le marché des fans de l’auteur ou de la maison d’édition avec un prix ordinaire habituel, pour ensuite diminuer le prix quelques mois avant la sortie du deuxième, ou créer une base importante de lecteurs avec un prix compétitif et se rattraper plus tard avec le volume et les tomes suivants.

Relance et promotion : En règle générale, l’objectif d’une promotion est de sortir un titre de l’ombre, gagner de nouveaux lecteurs pour qui la valeur n’est pas claire, promouvoir une collection, une série ou un auteur, et générer des revenus supplémentaires. À ce stade, l’important est de bien intégrer les promotions dans sa structure de prix, idéalement avant tout changement de prix.

 

Quel prix initial pour les nouveautés?

Il n’est pas simple d’identifier le prix optimal pour une nouveauté, c’est pourquoi une stratégie de structure de prix adaptée pour le fonds est importante et sert d’information de base pour l’établissement du prix des nouveautés – notamment par une meilleure compréhension de la courbe de demande. Bien que l’élasticité du prix soit un outil important et fiable de manière macro, elle est trop souvent erronée pour la gestion d’un catalogue, étant donné que pour beaucoup de titres, le changement de prix aura un impact limité, voire nul sur le volume de ventes. L’analyse du catalogue demeure donc un prérequis.

Tableau 4 :  Taux de conversion
Tableau 4 : Taux de conversion d’un titre du Top 10 numérique au Québec pour plusieurs semaines. Kobo, août 2014

À titre d’exemple, si on observe le taux de conversion de ce titre situé parmi le top 10 du palmarès en numérique partout au Québec, on remarque que le nombre de pages vues est très important par rapport au nombre de copies achetées. Comme il s’agit d’une information sensible, j’ai caviardé le nombre d’unités visible sur l’axe des Y, à gauche; on comprend toutefois bien l’ordre de grandeur. Ce titre est vendu à 21,99 $. Le taux de conversion de ce titre est exceptionnellement faible, parfois ce sont les métadonnées qui sont ambigües, ou la description qui manque de conviction, ce qui n’est pas le cas ici (notons que l’écart est majeur). La meilleure hypothèse pour expliquer le faible taux de conversion est donc le prix relativement élevé : ce titre vendu à 19,99 $ ou moins aurait généré un volume plus que proportionnel à la baisse de prix et aurait permis un revenu net supérieur.

Il est à signaler que des titres à 13,99 $ auraient générés des volumes équivalents vendus à 14,99 $, voire 16,99 $. Certains prix n’occasionnent pas de différence en terme d’unités achetées par les consommateurs; un livre à 24,99 $ en format papier est soit vendu en numérique à 17,99 $ ou 18,99$ – et la perception de ces prix par la clientèle est quasi identique. Dans ce cas, il demeure préférable de lancer un livre numérique à 18,99 $, et au moment où la demande diminue, de descendre son coût à 16,99$ – cela sera plus rentable et efficace

 

Communication, un facteur de succès

Que ce soit pour un changement de prix permanent ou pour une promotion, la communication est importante pour maximiser le nombre d’unités vendues. Un simple changement de prix envoyé par flux Onix risque de passer inaperçu. Contrairement à un passage au format poche, qui profite d’une nouvelle mise en marché, le changement de prix du livre numérique est peu et souvent mal communiqué : c’est un défi certain pour les détaillants. Par exemple, un livre qui passe de 17,99 $ à 7,99 $ sans aucune notification aura assurément un meilleur taux de conversion, mais les ventes demeureront extrêmement limitées, tandis qu’une stratégie de communication adéquate permettra une relance plus profitable et insufflera une véritable deuxième vie au titre.

L’établissement du prix basé sur le contexte pour le livre numérique part du principe que quelques facteurs, principalement liés au cadre de référence de l’acheteur, détermine le niveau de prix. Plus la valeur est bien exprimée et que le prix capture la majorité des caractéristiques du livre, plus le prix sera juste et permettra une rentabilité optimale.

La gestion du prix ​​et de l’image de marque devraient être intégrées pour le livre numérique, et à ce titre, le développement de titres ou de collections pourrait se baser sur les enseignements tirés de l’analyse des prix.